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1- Les écrits des médecins

2- Les mécanismes de la perversion

1- Les écrits des médecins

Le constat

Un nombre important de médecins du travail, généralistes et psychiatres, se trouve mis en cause voire attaqué auprès du Conseil National de l’Ordre des médecins (CONM) par des entreprises, via leurs avocats, pour la relation de cause à effet qu’ils établissent, ou que leurs écrits suggèreraient, entre l’état de santé de leurs patients et des pratiques managériales ou organisationnelles que ceux-ci leur rapportent comme cause d’une souffrance.

Par ailleurs, les dossiers les plus solidement étayés soumis à la Sécurité Sociale pour des demandes de reconnaissance en accident du travail ou en maladie professionnelle peuvent être rejetés au motif ainsi formulé d’une « impossibilité de pouvoir reconnaître le lien de causalité entre conditions de travail et dégradation de la santé ».

Il semble important et même essentiel au regard de la mission du médecin définie par son serment et son éthique professionnelle, de mettre en réflexion de manière pluridisciplinaire la contestation, voire le déni, de la relation causale entre le symptôme – tout symptôme – et son origine, relation qui relève de son expertise.

Des médecins du CONM et de la Sécurité Sociale se trouvent aujourd’hui en position de refuser, voire de condamner, les diagnostics de leurs collègues praticiens. Déni ? Omerta ? Les raisons de cette non reconnaissance ne relèvent pas du registre médical et ont pour conséquence d’entretenir la pathologie.

Un début de réflexion fait ressortir qu’il existe, dans les situations de souffrance au travail, deux discours qui s’opposent, opposition qui constitue le piège : celui de l’entreprise qui représente un collectif, et celui des salariés, seuls. Pris dans ce rapport de force des discours et du pouvoir aggravé par le déni également des instances relais supposées les protéger, les salariés se trouvent réduits au silence., leur parole baillonnée, leur bonne foi mise en doute. Double peine de la violence subie et du déni.

Or, le médecin du travail, le généraliste, tout médecin, représente pour le salarié la possibilité d’une nomination de sa souffrance et de ses causes fondée sur son expertise et sa capacité de mise en sens des symptômes. S’il ne peut plus interpréter le symptôme en se fondant sur ce qui, de tous temps jusqu’à celui de l’actuell totalitarisme du pouvoir économique, lui a permis de soigner, à savoir la parole de son patient, alors lui est enlevée toute possibilité de prescrire de manière éclairée. Le médecin se voit réduit à ne traiter que le symptôme sans pouvoir faire le lien avec sa cause, sans possibilité d’agir sur celle-ci ou de la questionner. Et donc dans la position d’entretenir la maladie ; ou plutôt… le mal-à-dire.

L’une des conséquences de cette situation paradoxale est ainsi l’explosion des prescriptions d’antidépresseurs et d’anxiolytiques comme prescriptions symptomatiques traduisant, dans nombre de situations de souffrance au travail, cet échec, cet empêchement d’une mise en sens des symptômes.

Le traitement des stress post-traumatiques ne peut être opérant que s’il y a compréhension du système piège dans lequel est enfermé le patient, avec la nécessité d’une déconstruction de celui-ci pour reconstruire un système sain.

La cause se doit donc d’être reconnue à l’extérieur du sujet car le lieu du traumatisme est extérieur. Non en lui comme on cherche systématiquement à l’en convaincre en le culpabilisant.

Ainsi, le déni social maintient la confusion en invoquant chez les patients une supposée dépression post partum, une tension de couple ou un ado problématique comme cause de leur pathologie, et partant en créant une incapacité de penser la pathologie psychique.

Enfin, compte-tenu du secret professionnel qui ne permet de nommer qu’une partie de la pathologie en renvoyant au juridique la reconnaissance de la cause et le juridique se cachant lui-même derrière l’absence d’items pour caractériser cette cause, le résultat est la fermeture du piège.

Le cercle d’étude proposait de réfléchir à cette question de première importance à la fois pour la défense de l’exercice des médecins et pour la défense des salariés.

Il s’agissait de voir comment permettre aux médecins de faire front, de se mobiliser, car si telle décision de justice donnant le dernier mot à telle entreprise contestant leur expertise devait faire jurisprudence, alors…

Réflexion par : Dr M.-H. Braudo, Ph. Chétrit, Ph. Archain

 

2- Les mécanismes de la perversion ont aujourd’hui largement infiltré  le monde du travail.

Ils y sont non seulement tolérés, voire enseignés, comme paradigme du management « efficace », « agile », « flexible », mais aussi couverts par une combinaison verrouillée de déni et d’omerta sous le vernis trompeur du « bonheur » ou de « bien-être » au travail, slogans mis en avant pour soutenir une image séductrice.

Nous vous proposons dans cet atelier de les étudier et de faire émerger, à partir de situations concrètes, des parades possibles. Avec, au delà d’une compréhension des processus, une visée de prévention de la souffrance et pour éviter que cet affrontement victime/système ou individu(s) maltraitant n’aboutissent à plus de déshumanisation des relations de travail, à une détresse psychique voire à la mort d’un être humain…

Le management en cause…

Le management pathogène joue sur les relations interpersonnelles au travail en les clivant, en créant des alliances entre certains salariés pour en écarter d’autres. Cette dynamique relationnelle s’oppose au collectif, le déstructure, permet un contrôle sur chacun individuellement ; il instaure peur et rivalités.
Ce système est à appréhender à deux niveaux : au niveau 1) d’une perversion possible s’exerçant dans la relation inter-individuelle et 2) au niveau d’une perversion sociale des organisations induite par leurs modalités de fonctionnement à des fin de rentabilité ; les deux se situant dans une circulation de jouissance qu’il s’agira de repérer, conduisant in fine à une perversion du travail lui-même comme des valeurs qui le soutiennent et le structurent.
La victime n’existe quant à elle dans les processus de maltraitance que par ses réactions de défense et d’angoisse, non du fait d’une quelconque responsabilité de sa part. Elle connaît alors une extrême solitude face à un collectif de collègues devenu, activement ou à son insu, complice de sa mise à l’écart.

Les réunions proposées ont visé un travail de prévention destiné à permettre de repérer les signes avant-coureurs de manœuvres perverses ou induites par les organisations pouvant conduire éventuellement à un harcèlement, provoquer souffrance, blessures, incompréhension, sentiment d’injustice et culpabilité.
Elles visaient également à recréer du lien et donc du collectif, seul à même de faire échec à ces mécanismes purement subjectifs, irrationnels et donc inaccessibles à toute discussion «raisonnable» qui serait destinée, sur les lieux de travail, à les faire cesser.

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Réflexion menée par : Dr Marie-Hélène Braudo, Philippe Chétrit, Philippe Archain