Appel de La Maison du Travail

L’APPEL DE LA MAISON DU TRAVAIL

 

Le 13 janvier 1898, Emile Zola publiait dans l’Aurore un manifeste adressé au Président de la République, Félix Faure : « J’accuse… ! ».

Il dénonçait l’injustice exercée à l’encontre d’un officier français, Alfred Dreyfus, accusé à tort de trahison dans un contexte de guerre et exclu de l’armée. Son appel suscitait une réaction d’une partie de la société française face à l’exclusion et à l’humiliation de l’un des siens. Son action, celle d’un seul contre l’establishment politique et militaire, permit de rétablir la Justice et de punir les véritables coupables.

Ce mois de septembre 2015, des salariés accompagnés par la Maison du Travail se sont, avec d’autres, constitués en Collectif de défense, ont écrit un Manifeste, ils ont pris la plume pour sortir de leur solitude, crier leur indignation, exprimer leurs inquiétudes face à l’injustice et à la maltraitance institutionnelle, organisationnelle et managériale au travail.

Nous les soutenons pour dénoncer aujourd’hui une autre forme d’exclusion, elle aussi d’expression individuelle mais se propageant de manière dramatique à tous les secteurs professionnels, privé comme public, de notre société.

En ce début de 21ème siècle et depuis le tournant néolibéral des années 80, tout salarié est en effet au risque de se trouver brutalement et de manière incompréhensible pour lui disqualifié par sa ligne hiérarchique. Dès lors taxé d’incompétence quand ce n’est pas d’inadaptation, maltraité par l’application de méthodes managériales indignes, marginalisé et enfin rejeté sans égard pour son investissement passé, il n’a d’autre choix que de partir par démission, licenciement ou rupture conventionnelle, subissant ainsi un double préjudice : celui d’une maltraitance et de la perte de son travail.

Cette exclusion résulte de l’injonction faite aux salariés d’être non seulement des professionnels exemplaires et conformes aux « valeurs » de l’entreprise, mais aussi des « guerriers » au nom d’impératifs de la loi dite « du Marché » et d’une autre guerre, économique celle-ci, reconnue comme « légitime » car inhérente à la mondialisation.

Le prix de cette guerre, avec ses vainqueurs et ses vaincus, ce sont les victimes : les blessés, les estropiés à vie et les morts. Mais si toute société accepte en général comme une fatalité le sacrifice de certains des siens en situation de guerre réelle, la transposition folle de la nécessité d’un sacrifice dans le cadre du travail est éthiquement intolérable.

Les organisations de travail qui tiennent ce discours guerrier y trouvent la justification de leurs stratégies et des victimes qu’elles font, tout en étant dans le déni des souffrances qu’elles produisent. Elles se placent ainsi en totale contradiction avec leurs obligations légales de préservation de la santé physique et psychique des salariés et d’anticipation des risques. Dans le même temps elles mettent en place des stratégies de communication à visée d’affichage destinées à promouvoir le « bien-être au travail » voire le « bonheur au travail » afin d’une part de préserver socialement leur image, et d’autre part de répondre à la Responsabilité Sociale des Entreprise (RSE). Cette double posture les situe de manière paradoxale.

De leur côté, les politiques, soucieux de la santé des citoyens mettent en place une législation protectrice des salariés, tout en tenant des discours d’incitation à la compétitivité des entreprises et en mettant en place jusque dans les établissements publics, une organisation visant, là aussi, la performance et la rentabilité. A nouveau, un double discours produit des effets paradoxaux.

Pour maintenir ces équilibres pervers, l’entreprise privée comme publique, les politiques et l’Assurance Maladie génèrent une violence supplémentaire par le déni massif d’une reconnaissance d’un lien entre pathologies psychiques et management pathogène, tout en imputant cyniquement aux salariés eux-mêmes des déficiences qui seraient cause de leur souffrance. Ainsi peut même voire certains « médecins-conseil » de l’assurance maladie se comporter comme de véritables brutes à l’égard de salariés déjà très fragilisés par la maltraitance des organisations.

Cette perversion des discours et des stratégies infiltre toutes les strates de notre société.

Si la destruction des collectifs de travail s’est opérée de manière insidieuse et silencieuse, cette situation est dramatique et bruyante au plan individuel. Elle atteint le sommet de l’inacceptable et du révoltant lorsqu’un salarié se suicide. Ultime tentative  de sortir de l’enfer quand sa parole se brisant sur le mur de l’indifférence n’a rencontré que le déni de sa hiérarchie, des services dits des « Ressources Humaines ». Quand espérant de l’aide il n’a entendu que le silence de ses collègues détournant le regard, pris entre la peur d’être « le prochain », la honte et la culpabilité des petites et des grandes lâchetés.

Les salariés sont toujours plus nombreux à ressentir un mal-être profond au travail, à voir leur santé physique et psychique ruinée, leur vie sociale et familiale altérée, parfois brisée. Les effets sont coûteux pour la société tout entière, humainement, socialement et financièrement.

Les professionnels (médecins, psychologues, avocats, assistants sociaux) qui les soutiennent dans ces situations de détresse et recueillent leurs récits par milliers, sont les témoins directs de la concordance pouvant exister entre les causes de cette maltraitance diffuse, œuvre de personnalités souvent perverses et sadiques, et les situations de détresse qui leur sont rapportées.

Comble du cynisme, les petits chefs, ces nouveaux kapos de la dictature économique et sociale, restent dans l’immense majorité des cas impunis et en place sur les lieux du crime bien après que leurs victimes en aient été exclues.

Deux cents médecins par an se voient, pour la seule forme de leurs écrits suggérant un lien entre la dégradation de la santé de leurs patients et leurs conditions de travail, poursuivis en justice non seulement par les entreprises, mais aussi par des Confrères, d’autres médecins, appartenant au Conseil de l’Ordre.

Nous proposons aux professionnels du soin de faire cause commune en rejoignant ce Collectif de Salariés et son combat pour le préservation de la santé et de la dignité des êtres humains au travail.

Nous appelons chacun à s’élever contre les discours paradoxaux qui soutiennent les méthodes toxiques des organisations du travail et les sacrifices exigés pour satisfaire la recherche sans limite de toujours plus de profit au nom de la loi tyrannique du « Marché »…

La Maison du Travail

www.lamaisondutravail.fr